Avis enquête public Neyrpic de Thomas Letz
Habitant de Saint Martin d’Hères
Coordinateur du scénario de transition énergétique négaWatt
Je vous prie de trouver ci-dessous l’exposé de mon avis défavorable sur le dossier de permis de construire au projet de centre commercial « Neyrpic » à St martin d’Hères.
Le premier point concerne la saturation du territoire national en général et de l’agglomération grenobloise en particulier en grandes surfaces commerciales et en galeries commerçantes (Comboire, Grand Place, Saint-Egrève ou Meylan, Caserne de Bonne sur Grenoble). De nombreux centres-villes sont sinistrés, les commerces de proximité ne pouvant lutter contre les grandes concentrations des galeries commerçantes ou des hypermarchés. Ce phénomène est connu depuis longtemps, mais il revient au premier plan de l’actualité (voir notamment le numéro de Libération du 14 décembre 2017 dont la une mentionnait « Faut-il interdire les zones commerciales ?», et la table ronde organisée par la Mairie de Grenoble le 15 décembre 2017 : « Vers la renaissance commerciale des centres-villes, centres-villages et centres-bourgs ? »).
Les élus ont une responsabilité fondamentale à essayer d’inverser le mouvement. A Saint Martin d’Hères, le quartier Renaudie au moment de sa conception et de sa construction était organisé pour accueillir des commerces de proximité dans les emplacements situés sous les arcades de l’avenue du 8 mai 1945. Aujourd’hui, on ne trouve plus qu’un photographe, un cabinet d’architecture, un tabac-presse et un café. Une épicerie et un commerce de sacs (et bien d‘autres, associations, …) ont disparu. La plupart des devantures sont fermés par des rideaux de fer, les locaux situés derrière ceux-ci étant devenus des locaux de stockage municipaux. Pour apporter plus de vie dans ce quartier, il faut donc accompagner et aider des commerces à réinvestir ces lieux, et donc de pas réaliser le projet Neyrpic.
Le deuxième point concerne la non compatibilité de ce projet avec les critères du développement durable : face aux risques climatiques, faut-il encore encourager les citoyens à consommer toujours plus ? Le 13 novembre 2017, plus de 15000 scientifiques ont publié un manifeste sous forme de cri d’alarme (sur 9 grands indicateurs, 8 sont au rouge, et un seul s’est amélioré). Nous allons dans le mur, nous le savons, et nous faisons comme si tout allait bien…
Sur le site internet de la Mairie de Saint Martin d’Hères, une page complète décrit les intentions en matière de développement durable. Je vais juste reprendre quelques points et montrer de quelle manière le projet Neyrpic est en complète contradiction avec ces principes :
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Les politiques économiques de la seconde moitié du XXe siècle n’ont guère amélioré la situation des plus pauvres. Les inégalités se sont même creusées, ce qui pose la question de la croissance et du développement : peut-on raisonnablement penser qu’un lieu fléché plutôt vers des commerces haut de gamme pour attirer une clientèle aisée issue du Grésivaudan répond aux besoins des habitants de Saint Martin d’Hères ?
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Développer la croissance et l’efficacité économique pour favoriser la création de richesses pour tous à travers des modes de production et de consommation durables : dans le projet actuel, rien ne répond à cet objectif. Au contraire, un projet d’installation d’activités tournées vers la transition énergétique permettrait à la fois de créer du lien avec le campus (présence de l’écoles d’ingénieurs ENSE3, du Centre Scientifique et Technique du bâtiment, …). Voir annexe.
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La participation pour impliquer tous les acteurs y compris les citoyens dans les projets d’intérêts généraux et développer des politiques partenariales : où est l’intérêt général et l’écoute des aspirations des citoyens dans le projet actuel, avec la cession au privé d’un espace en cœur de ville où pourraient se développer de nombreuses activités d’intérêt collectif ?
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La préservation de l’environnement et des ressources naturelles sur le long terme : le projet actuel contredit ces objectifs, tant au niveau de sa réalisation que des impacts futurs liés à son fonctionnement. Ci-dessous viennent quelques points d’analyse qui relèvent de mon domaine de compétence :
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Réalisation :
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Pas de recherche pour réduire l’énergie grise : mis à part quelques bardages en bois, les matériaux prévus ont tous des contenus énergétiques très élevés : aluminium pour les menuiseries, bardages acier, isolant laine de roche, maille inox pour le parking, etc… Pourquoi ne pas privilégier les matériaux biosourcés ??
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Fonctionnement :
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Les ambitions en matière énergétique sont singulièrement frileuses1 : le projet énergétique mis en avant (chauffage urbain) indique une consommation en énergie primaire de 413 kWhep/m²/an, dont 297 pour le chauffage, l’ECS, l’éclairage et les auxiliaires de ventilation. Or en page 189 de l’étude d’impact, il est indiqué une valeur limite 5 fois inférieure : « La totalité des bâtiments seront conçus à minima selon la norme BBC (Basse Consommation d’Énergie) et respecteront la Réglementation Thermique 2012 en vigueur depuis janvier 2013, qui impose un niveau maximal de consommation de 60 kWh/m² de surface hors œuvre nette (SHON) par an pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, l’éclairage et les auxiliaires de ventilation ».
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Si on regarde de plus près les chiffres, on remarque des valeurs aberrantes :
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Plus de 4 millions de kWh/an rien que pour l’éclairage : l’équivalent de près de 500 kW de luminaires fonctionnant 24 h sur 24, l’équivalent de la consommation totale d’électricité de 1600 maisons….
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Du coup, une consommation de climatisation élevée, parce qu’il faut bien évacuer la chaleur de l’éclairage en été…
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Pour comparer, le Centre commercial de la Caserne de Bonne inauguré il y a 7 ans montre des consommations réelles plus de 2 fois plus basses (194 kWhep/m²/an entre 2012 et 2015)2
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L’évaluation du coût d’installation de l’installation photovoltaïque (à géométrie variable : 12 000 m² dans le journal municipal de septembre 2017, 13 000 m² dans le livret d’information, 15 177 m² dans la référence 1, …) est totalement obsolète : l’investissement est estimé à plus de 12 millions d’euros soit 7,2 €/kWc. Actuellement sur des installations comparables, l’investissement est aux alentours de 1 €/kWc.
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Même surestimation sur les recettes : 0,56 €/kWh, alors que sur des projets récents similaires, on est aux environs de 0,13 €/kWh3
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Le calcul des dépenses annuelles (page 25 de la référence 1) est donc complètement à revoir.
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Les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre et de particules liées aux transports des futurs clients ne sont pas calculées, alors que la plupart des clients de la zone de chalandise de l’extérieur de l’agglomération viendront en voiture.
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Dans l’étude d’impact, un tableau est présenté à partir de la page 63, qui compare les impacts sur l’environnement entre une réalisation du projet et une non-réalisation de celui-ci. Il en ressort que sur 9 des thèmes étudiés, le projet a une influence positive alors qu’il a une influence négative sur 5 d’entre eux. Cette présentation induit la conclusion qu’il vaut mieux faire le projet que de ne pas le faire, ce qui omet complètement dans l’analyse l’examen d’autres projets qui pourraient présenter plus d’avantages… Par ailleurs, il est assez singulier de noter que sur le thème des déchets, le projet aurait une incidence positive : l’argument consiste à dire que si rien n’est fait, il y a un risque d’augmentation de dépôts sauvages dans la friche alors que les déchets générés par les 86 commerces et les 20 restaurants n’auront quasiment pas d’impact, car ils seront collectés et traités par la Métro, ce qui évidemment aberrant… dans la perspective d’une réduction forte des déchets qui devrait être visée.
Pour terminer sur cette question de la compatibilité de ce projet avec les critères du développement durable, la communication met en avant la labellisation BREEAM4, visée par le projet. Or des comparatifs faits entre différents référentiels de qualité environnementale établissent que la labellisation BREEAM est une des moins exigeantes…
En conclusion, je renouvellement mon opposition à ce projet, tant sur la forme (études approximatives voire erronées) que sur le fond (projet incompatible avec les principes d’un développement durable).
Annexe : création d’un Espace de la Transition Energétique
Pourquoi ne pas profiter de l’opportunité que représente ce site, et de sa proximité avec le campus, ainsi qu’avec l’Esp’ACE, pour y installer un pôle de la transition énergétique orienté vers le bâtiment ? Voici quelques activités qui pourraient être rassemblées :
Activités possibles
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Formation des artisans du bâtiment, architectes, bureaux d’études, bureaux de contrôle, maîtres d’ouvrage, pour les former à la conception de bâtiments passifs et à la rénovation thermique performante des bâtiments
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Pépinière d’entreprises sur le thème du bâtiment performant (architectes, bureaux d’études), qui réunirait des cabinets d’architectes, des bureaux d’étude du bâtiment, des consultants, des associations ou agences travaillant à l’international, des compagnies d’assurance spécialisées, des banques, des éditeurs de logiciels
L’idée est de réunir dans un même lieu des acteurs de l’acte de bâtir, à l’image du Solar Info Center à Freiburg en Allemagne, ce qui permet de créer facilement des échanges et des synergies. Une dynamique plus importante est ainsi enclenchée. Ce pôle d’activités serait une source de revenus et de rayonnement pour la commune.
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Sièges d’entreprises de la construction durable, installations et second œuvre du bâtiment, exploitants, …
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Laboratoires de recherche : le pôle Neyrpic pourrait accueillir, en lien avec le Campus et le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, des laboratoires dédiés aux nouvelles technologies de l’Energie dans le secteur du bâtiment
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Organisation de conférences et des séminaires nationaux et internationaux, avec un ensemble de salles de réunion de différentes tailles
Pour faire cohabiter harmonieusement cet ensemble d’activités, d’autres surfaces devraient être dédiées à la restauration d’entreprises, bien évidemment à base de produits bio, l’accueil d’une crèche qui pourra notamment être utilisée par les personnes travaillant sur le site, des lieux d’hébergements (auberge de jeunesse, hôtels) pour les visiteurs, etc.
Eléments favorables
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Proximité du Campus
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Présence du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment
Construire des bâtiments exemplaires
Pour être en cohérence avec les activités hébergées sur ce lieu, les bâtiments devraient véritablement être démonstratifs, en allant au-delà de que ce que demande la LTECV : bâtiments à faible contenu en énergie grise, utilisant le plus possibles des matériaux locaux et recyclables.
1 Chiffres issus du document PC16.1 – Attestation RT 2012.pdf
2 Source : Agence Locale de l’Energie et du Climat, http://www.alec-grenoble.org
3 http://www.photovoltaique.info/-Tarif-d-achat-.html
4http://www.batiweb.com/actualites/eco-construction/quelles-differences-entre-les-certifications-breeam-leed-et-hqe-22-09-2015-26786.html : « (…) La certification BREEAM est moins exigeante, et impose très peu de seuils minimums aux projets pour prétendre à la certification. D’ailleurs, c’est parfois cette caractéristique qui oriente certains projets vers la certification BREEAM (en BREEAM un bâtiment peut être certifié « Very Good » avec un travail très limité sur la performance énergétique par exemple, ce qui n’est pas possible avec HQE et LEED) »
Excellentissime, effectivement certains points : et en particulier : déchets, énergie grise n’ont pas du tout été pris en compte en amont …une fois le projet realisé il sera trop tard et les dommages en terme de protection de l’environnement ( sans compter la déconfiture des commerces de proximité et le surconsommation induite) seront irréversibles. Impressionnant de constater que des élus sont favorables à ce projet qui va à l’encontre de ce que l’on attend d’eux.